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REINE D’ARBIEUX

Reine se parlait à elle-même, dans une langue qu’il ne pouvait comprendre, dont la douceur le touchait et l’exaspérait, comme si le secret qu’il n’osait forcer était là, sans cesse trahi par ces doigts légers qui, parfois, appuyaient davantage sur les touches, en tiraient des sons presque humains. Qu’entendait-il à travers ces notes qui semblaient l’étrange murmure de son cœur ? Une plainte ? Des sanglots ? Des éclats de joie ? À qui ce langage s’adressait-il, au fond de la petite mai­son solitaire, perdue dans la nuit humide, et dont la lampe ne jetait sur la route qu’une faible lueur ?

Elle s’arrêta un instant de jouer et il se dissi­mula contre le mur, les épaules appuyées à la gly­cine, comme s’il espérait apprendre autre chose et avait honte d’écouter aux portes. Elle venait de reprendre le même air et il en éprouva un soula­gement, parce qu’il se sentait un peu familiarisé et que l’effort lui coûterait moins. Mais elle le jouait plus vite, avec d’autres intonations à la fois brèves et déchirantes qui le déconcertaient. Ainsi sans doute le centaure tourmenté de forces animales dut écouter, aux premiers temps de la création, palpiter le cœur d’une jeune mortelle qu’il avait en vain tenue prisonnière.

Lorsque Germain entra dans le salon, Reine avait fermé le piano. Il s’assit et garda un moment le silence. Elle leva les yeux et lui trouva un air fatigué.