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REINE D’ARBIEUX

nir. Lorsqu’elle s’assit sur une chaise basse en tapisserie et se pencha, pour défaire les lacets de ses chaussures, la paysanne s’agenouilla sur le tapis.

— Laisse donc, Génie !

Génie retirait les bottines alourdies d’argile ; sa tête flétrie, bien prise dans le foulard qui serrait ses tempes, se penchait humblement pour ne rien voir. Quels jours elle passait, la pauvre vieille, avec l’idée que la jeune femme allait se perdre ! Qu’il n’y eût pas de mal dans ces rendez-vous, elle le savait bien ; elle l’avait suivie assez souvent, courbée dans les ronces et dans les ajoncs. Mais qui le croirait ? Et quel but poursuivait ce méchant garçon ?

Navrée, elle n’osait plus lever les yeux sur le pur visage qu’elle aimait tant. Si les mauvaises femmes cachent leur jeu, Reine, certes, ne savait pas : tout la trahissait, la couleur qui remontait à sa bouche pleine, et sous les longues et douces pau­pières, aux cils délicats, les expressions mobiles de joie vive et d’inquiétude. La veille encore, ne l’avait-elle pas aperçue, agitée, en larmes, allant et venant au fond du jardin ? Que faire ? Des siècles de passivité et de patience la courbaient toute, comme s’inclinent devant l’orage, consternées, muettes, les faces paysannes ; ce qu’elle avait sur le cœur, elle ne le disait pas, gardant jusque dans ses moelles le respect des maîtres ; mais elle avait pris les minces pieds mouillés et les réchauffait avec amour dans ses vieilles mains.