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REINE D’ARBIEUX

mêmes qui lui faisaient autrefois le plus de plaisir ne l’amusaient pas. Il ne savait quoi le tourmentait ! Depuis que sa femme était malade, du moins s’était-il efforcé de lui montrer une humeur meilleure : il ne lui imposait plus ses volontés, il la laissait libre. Lorsqu’elle avait eu l’idée singulière — il y avait maintenant huit jours — d’aller se reposer au moulin dans l’après-midi, il avait étouffé sa contrariété.

« Que diable allait-elle y faire ? » avait-il pensé, luttant obscurément contre son démon mal assoupi. Mais pouvait-on, dans l’état où il la voyait ce soir-là, avoir l’idée de la soupçonner ! Elle avait l’air exténué. Inquiet, il regardait sa figure blanche, ses yeux brûlants. Il semblait que ses cheveux magnifiques tiraient en arrière sa tête, absorbaient sa vie.

Il semblait… mais depuis huit jours n’avait-elle pas paru renaître ? Une charrette de poteaux de mines, encombrant la route, suspendit ses réflexions. Il pressa plusieurs fois la corne, jeta de côté son auto qui rasa une pile de cailloux et se retourna pour injurier le conducteur, un grand gars couché, qui souleva à peine la tête : « Fainéant… propre à rien ! » C’était la faute du maire qui ne faisait pas dresser de procès-verbaux. Le pare-brise mal essuyé, sur lequel séchaient des gouttes d’eau, ternissait un ciel bas et gris. L’été de la Saint-Martin était déjà passé, les palombes devenaient rares. Il jeta un coup d’œil sur de gros nuages qui buvaient une lumière blafarde comme un buvard