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REINE D’ARBIEUX

attendrie par l’allégresse intime de se sentir mère, elle souriait à ses songes, frappée d’un bonheur sans nom. Les heures coulaient dans une sorte de torpeur. À peine, de loin en loin, quelque char­rette passait sur la route, dans ces landes où le roulage a quelque chose d’éternel : son regard suivait les bœufs solennels, drapés de toile grise, les mules nerveuses qui font la chaîne entre les bois et les scieries.

Elle avait écrit à Clémence : « Je suis heureuse. » Celle-là comprendrait ! Ce n’était pas comme Mme Fondespan, qui blâmait hautement sa paresse, la morigénait et ne lui avait tout de suite parlé que de chaussons et de tricotages.

Il ne lui avait fallu qu’un coup d’œil, à sa dernière visite, pour deviner l’état de sa nièce. Comment ! Elle ne lui avait pas déjà annoncé ! On lui cachait tout. Lorsque le premier feu de sa contrariété fut un peu tombé, elle scruta d’un regard sévère la figure dolente de la jeune femme.

— Et surtout ne « t’écoute pas ». La Marie — elle citait l’exemple de ses métayères — ne s’est pas arrêtée un jour. Grosse comme elle était, la semaine avant d’accoucher, elle sciait le froment avec les autres ; lorsque les douleurs l’ont prise, elle lavait son linge au ruisseau. Sa mère, la Louise, qui a eu sept enfants, était toujours debout le cinquième jour et faisait la soupe.

Reine protesta qu’elle n’aurait pas pu. Elle parla