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REINE D’ARBIEUX

Une existence nouvelle commençait pour Reine. Comme un flot paisible, au fond de ce pays soli­taire de landes stériles, qui semble fait pour les troupeaux, les chênes massifs et les fougères, plutôt que pour les hommes, les jours comblés d’attente bienheureuse la portaient doucement, l’achemi­naient vers cette autre rive de sa destinée. Hier, une jeune femme rongée d’ennui. Aujourd’hui, une mère qui porte son premier fruit. Tout l’inquié­tait : elle s’étendait après le déjeuner, craignait les faux-pas. « Dors, mon enfant, au fond de moi-même. » Il lui semblait que la fraîcheur des pre­mières heures du jour lui faisait du bien. Toujours elle reverra ces matinées de brume où elle allait s’asseoir sous des chênes qui formaient un cercle. Quelques morceaux de prés fumaient au milieu des bois. La brise avait le goût de l’herbe mouillée. Reine appuyait sa joue dans sa main ; elle se recueillait, se sentait heureuse. Sa vie agitée d’en­fant, avec ses faux départs pour l’amour ; ses rêves avortés ; tous ces malaises du corps et de l’âme pour enfanter on ne savait quoi, des bonheurs fan­tômes ; tant de jours, tant de nuits et d’années où elle avait haï l’injustice de ne pas être aimée, comme les cœurs ardents et purs le réclament, avec la force de l’absolu, elle s’en délivrait, pareille à l’insecte qui gît épuisé à la fin d’une mue labo­rieuse.

Elle aimait les après-midi solitaires, dans cette campagne triste et sauvage, et encore exaltée par le mystère qui faisait de son corps un vase sacré,