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rivaux qui déchirent son cœur, c’est l’homme généreux qu’elle plaint, qu’elle estime. Elle ne peut supporter l’idée de le trahir ; mais le deuxième la subjugue mystérieusement et c’est lui qui triomphera. Ainsi placée entre un noble ami et un libertin, Marguerite, si fine pourtant, de sentiments si purs, a subi le sort de tant d’autres femmes : elle a cédé à l’attrait le plus dangereux. Ce n’est pas d’ailleurs sans évanouissements, sans langueurs, sans tentatives pour réprimer ses émotions désordonnés. Du moins, si elle ne peut échapper à l’influence redoutable qui s’est insinuée en elle, elle ne s’accordera aucun pardon. Elle mourra. « J’ai bien combattu, mais je n’ai pu vaincre ces deux puissances rivales. Deux amours de natures différentes se sont malgré moi partagé mon cœur : à l’un je n’ai pu résister, à l’autre je ne puis survivre. »

De nos jours, dans Un Cœur de femme, M. Paul Bourget a traité de façon moderne un cas identique. Une étude de ce genre exige beaucoup de justesse et de précision dans l’analyse des sentiments. Mme de Girardin n’a pas manqué de ces qualités. Son roman porte sans doute la marque du temps ; les amoureux versent trop de larmes et se jettent à genoux avec une ardeur bien passée de mode. Mais que la crise est nettement vue et décrite ! Mme de Girardin a la science du cœur féminin, elle en connaît jusqu’aux fibres les plus subtiles. Que de fines remarques sur les scrupules, sur les incohérences apparentes ! « En amour, les résolutions héroïques sont toujours celles qu’on adopte, parce qu’elles sont impossibles à tenir. On les prend et l’on satisfait sa conscience ; on les abandonne, et l’on contente sa faiblesse ; on se persuade que l’on a cédé à la force des choses. » En ce qui concerne les injustices du cœur humain, les observations sont multiples et ingénieuses. « L’amour est l’amour ; on n’aime pas quelqu’un pour les services qu’il a pu vous rendre ; on aime avec sa nature et ses impressions, et non avec sa reconnaissance et ses souvenirs. » Et encore : « En amour, les bons sentiments portent malheur ; loin d’être récompensés, ils sont punis... Si l’amour était doux, bon, commode et plein d’égards, ce