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pignon un peu pauvre, un peu sobre de l’édifice, qui, sur cette face, n’a pour ornement que quatre croisées ogivales surmontées de trois trèfles quadrilobés.

Le corps de bâtisse voisin est flanqué à son angle d’une tourelle qui a cela de particulier que, dans sa partie inférieure, elle contient un puits, et dans sa partie supérieure un escalier en spirale. Le grand poète qui a inventé les cathédrales gothiques, en face de cette bizarrerie architecturale, se poserait la question suivante : est-ce la tour qui continue le puits, ou le puits qui continue la tour ? — Vous jugerez, vous qui savez tout et autre chose encore, — excepté pourtant l’endroit où se cache Mlle de Châteaudun. Une autre curiosité du bâtiment c’est un moucharaby, espèce de balcon ouvert par le fond, pittoresquement juché au-dessus d’une porte, et d’où les bons pères pouvaient jeter des pierres, des poutres et de l’huile bouillante sur la tête de ceux qui auraient cherché à s’introduire dans le monastère pour tâter de leur cuisine et de leur vin.

C’est là que je vis seul ou en compagnie de quatre ou cinq livres d’élite, dans une immense salle en ogive, avec des nervures dont les points d’intersection sont marqués de rosaces d’un travail, d’une délicatesse charmante. Cette salle compose tout mon appartement, car je n’ai jamais compris pourquoi l’on divisait par un tas de compartiments, comme l’intérieur d’un nécessaire de voyage, le peu d’espace qui nous est donné à chacun en ce monde pour rêver et dormir, pour vivre et pour mourir. Je déteste les haies, les cloisons et les murs, comme un phalanstérien.

Pour éviter l’humidité, j’ai fait revêtir les parois de cette halle, comme ma mère la nomme, de boiseries de chêne, jusqu’à la hauteur de douze à quinze pieds. Une espèce de tribune, avec deux escaliers, me permet d’arriver aux fenêtres et de jouir de la beauté du paysage, qui est admirable. Mon lit est un simple hamac en fibres d’aloès, suspendu dans un coin. Des divans très bas, d’énormes tapis de tapisserie forment le reste de l’ameublement. À la boiserie sont accrochés des pistolets, des fusils, des masques, des fleurets, des gants, des plastrons, des dumbelles et autres ustensiles de gymnastique. Mon cheval favori est installé à l’angle opposé, dans un box de bois des îles, précaution qui l’empêche de s’abrutir dans la société des palefreniers et le conserve cheval du monde. Le tout est chauffé par une cheminée cyclopéenne, qui mange une voie de bois à