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moldaves, onze lorettes, dix marchands de contre-marques, écraser une multitude de king-charles, renverser une foule de magasins de pastilles du sérail, filez droit comme un boulet sur votre beauté, et saisissez-la par le bout de l’aile, comme ferait un sergent de ville ou un gendarme, avec politesse mais avec fermeté, car il ne faut pas que le prince Roger de Montbert soit le jouet d’une prétentieuse héritière parisienne.

Pendant que ces colères grossissent, que devient Irène de Châteaudun ? Oh ! elle ne craint rien, elle a le goût des émotions ; toute enfant, elle rêvait de mourir de peur. Mais tandis qu’elle ouvre et ferme ingénieusement « la porte du paradis sur le nez de ses amoureux », un nouveau héros entre en scène. Celui-là porte au front « l’auréole » rêvée. Dès le premier regard, il existe entre eux « l’affinité mystérieuse » de deux instincts « fraternels ». C’est bien celui qu’elle attendait ; c’est « l’âme sœur ».

Chaque génération a sa manière particulière de sentir la vie et l’amour. Vers 1850, les femmes étaient encore romantiques. Elles exigeaient de leur amant des sentiments chevaleresques, elles aspiraient à des félicités impossibles dont la seule pensée les emplissait de crainte et d’exaltation. Irène de Châteaudun ne saurait comprendre la passion que sous cette forme. Aussi Raymond de Villiers — c’est Jules Sandeau — est-il fait pour elle. Il est généreux, c’est un don Quichotte, « un enthousiaste passionné de toutes les nobles et saintes choses ; > il a « l’esprit naturellement gai, le cœur naturellement triste » ; il passe brusquement de la joie la plus vive à quelque accès violent de tristesse ; il a le culte de la femme. En résumé, le plus romanesque des héros. Irène l’aime : elle ne veut pas voir que l’orage monte. Une de ses amies lui a prodigué en vain de sages conseils : « Ne vous attardez pas dans ces intrigues… On ne se joue pas avec les passions sérieuses… » Mais Irène ne croit ni à la passion du prince, ni à celle d’Edgard de Meilhan. Elle a rencontré le premier à l’Odéon, en fort galante compagnie ; elle a surpris le second au Havre, accoutré de vêtements turcs tout chamarrés d’or et pressant