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Ce fut tout ce qu’elle essaya pour décourager la vocation de sa fille ; déjà sans doute celle-ci lui disait :

En vain dans mes transports ta prudence m’arrête,
Ma mère, il n’est plus temps…

D’ailleurs Mme Gay, si prompte à découvrir le talent, voyait croître ces dons précoces avec une joie grandissante. Loin de prendre ombrage, de s’inquiéter dans son amour-propre, elle voulait que cette dernière fille fût tout son orgueil. Elle lui faisait réciter des vers, le soir, aux amis lettrés de son salon. Elle invitait les jeunes poètes ; de nouvelles figures, illuminées de flamme intérieure, apparaissaient chaque jour chez elle. C’était l’aurore, c’était le printemps.

Mme Gay habitait alors rue Neuve-Saint-Augustin, n° 12, tout près de l’hôtel de Richelieu où descendaient Lamartine et Guiraud quand ils venaient à Paris. Ce jeune Guiraud, vif, remuant, de parler gascon, n’avait pas encore écrit le Petit Savoyard ; mais il composait des vers agréables, très purs de forme. Avec Soumet, avec Rességuier, il était l’honneur de cette brillante pléiade toulousaine qui voulait conquérir Paris. À leurs odes, leurs élégies, les Jeux Floraux prodiguaient les fleurs. Vraiment c’étaient de charmants poètes ; entre eux rien que désintéressement et affection. Le succès de l’un faisait l’orgueil de tous. Ils se couronnaient les uns les autres, ils s’apportaient les nouveaux lauriers. Quand paraissaient des vers de Guiraud, Soumet ne courait-il pas chez de Latouche, chez Deschamps ? Il leur eût retiré des mains ses propres ouvrages ; tous les éloges, il les voulait pour son ami. Mais, quoi qu’il fît, il n’en était pas moins l’étoile du groupe, le grand Alexandre. Des la fin de l’Empire, son élégie la Pauvre fille l’avait fait célèbre et lui avait ouvert les salons.

Tous ces poètes furent accueillis à bras ouverts, maternellement, par Sophie Gay ; et c’est naturel. Elle aimait tant le succès des jeunes ! Suivant le mot de Gautier : Tout ce qui avait de l’avenir débuta chez elle, car per-