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lui-même, elle n’abdiquera rien de sa hardiesse. Gautier rapporte à ce sujet une anecdote caractéristique : « C’était chez la princesse Borghèse ; l’empereur traversait les salons, cherchant, suivant sa coutume, à intimider les femmes. Arrivé près de Mme Gay et dardant sur elle un regard d’aigle, il lui poussa d’un ton marqué d’insolence cette question soudaine : — Vous écrivez, vous ? Qu’est-ce que vous avez fait depuis que vous êtes dans ce pays-ci ? — Trois enfants, Sire. Le César, qui s’attendait à des titres de romans, sourit et passa. »

Et Gautier d’ajouter : « L’un de ces trois enfants fut Mme de Girardin ; c’était encore bien littéraire. »



II


Delphine naquit, nous l’avons dit, « au plus beau matin du soleil de l'Empire ». Peut-être fut-elle vraiment baptisée, comme le veut sa légende, sur le tombeau de Charlemagne. Ce qui est sûr, c’est qu’elle reçut au baptême ce nom de Delphine — le plus romanesque qui fût alors — qu’elle devait porter comme une couronne.

Pendant ses premières années, et aussi pendant son adolescence, elle vécut à Aix-la-Chapelle, mais fit de fréquents séjours à Paris. Aix-la-Chapelle, avec ses vieilles rues aux toits dentelés, ses beffrois massifs et ses murailles carolingiennes, a certainement influé sur sa sensibilité enfantine. Naître dans la ville de Charlemagne, grandir à l’ombre de ses tours, de ses nobles ruines enchevêtrées, c’est un beau destin. Et puis les bords du Rhin sont la patrie des Walkyries, des rêves guerriers. De là, peut-être, ce qu’il y eut de si chevaleresque dans la nature de Delphine Gay. Le temps, d’ailleurs, se prêtait à cette formation d’amazone ; alors qu’elle s’éveillait à la vie, l’air était plein d’échos glorieux : c’était l’Empire, l’honneur, les victoires. Tout cet orgueil la pénétra, la fit enthousiaste.