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l’âge de deux ans par le vieux Voltaire, momifié dans sa gloire. Est-ce dans ce baiser, si près des rides sarcastiques, qu’elle prit vraiment l’esprit, l’étincelle ? Quoi qu’il en soit, d’un bout à l’autre de sa carrière, elle est railleuse, preste, de tour enjoué.

Par son père, Mme Gay était donc Française au sens le plus brillant du mot ; mais par sa mère, Francesca Peretti, elle avait du sang italien. Chez ses ancêtres florentins elle avait pris, avec la beauté, la flamme du cœur, la passion des arts. Elle jouait de la harpe en virtuose « comme si elle n’eût pas eu le plus joli bras du monde » ; elle chantait, elle avait un talent d’accompagnatrice. Mehul avait été son professeur ; les plus grandes cantatrices de son époque furent amies, presque toujours ses obligées. Mais tous ces goûts artistiques, toutes ces relations séduisantes n’absorbaient pas son activité. Elle avait tant d’activité, tant de besoin de se dépenser ! Elle montait à cheval, elle jouait au billard, elle dansait et avec une telle perfection que l’on se hissait sur les banquettes pour la regarder ».

Sa jeunesse traversa toutes sortes d’agitations. Mariée en 1793 à un agent de change, M. Liottier, puis divorcée, puis remariée à M. Gay, elle avait fait ses débuts dans le monde enfiévré du Directoire. Avec Mme Récamier, Mme Tallien, Mme de Beauharnais, elle fut parmi les beautés célèbres. Et à ce moment, quelle confusion dans la société ! Partout le désordre, la spéculation, une sorte d’ivresse dans le plaisir. Mme Gay, qui avait une vitalité puissante, n’en éprouva aucune gêne. Cette époque resta même dans son souvenir comme « sa date favorite » En 1818, elle en conta avec verve les incohérences et les griseries dans « Les malheurs d’un amant heureux ».


Après son second mariage, nous retrouvons Sophie Gay à Aix-la-Chapelle. Son mari, receveur général du département de la Roër, y mène la vie luxueuse des hauts fonctionnaires. Quant à elle, elle a gardé sa terrible franchise d’idées et de termes. Elle fait scène comme par le passé et avec parfois des mots de Molière. Vis-à-vis de l’empereur