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une pensée arrêtée, un but quelconque. On le ferait tout à fait machinalement, avec la promptitude et l’adresse d’un geste qui est dû à un réflexe…

Ton expression de « un noble irrité », me rappelle l’orthodoxie de Gogol, qui à la fin de sa vie se plaisait à nous qualifier de « mortitiés ». De plus, ce sont là des propos équivoques qui donnent lieu à croire que tu y vois l’irritation d’un noble contre le tzar, émancipateur des serfs. En réalité, ce noble fit balle sur le tzar justement parce qu’il a fraudé les paysans, ce que démontrent assez clairement les paroles de Karakosoff lui-même, qu’il a prononcées immédiatement après avoir fait son coup. Et tu en veux au tzar pour avoir déféré le titre de noble à Comissaroff ; tu dis qu’il a dénaturé ainsi la morale de la leçon que l’histoire nous donne. En quoi vois-tu donc la morale de cette leçon historique ? Elle n’est pas, pourtant, difficile à deviner : les Ryléeff, les Troubetzkoï, les Volkhonski, les Piétrachevski, les Karakosoff, ces ennemis implacables de l’impérialisme, tous appartiennent à la noblesse. Les Susanine, les Martianoff, les Comissaroff, défenseurs et sauveurs de l’autocratie, sortent du peuple. Mais toi, ne voulant pas te départir de ton rôle de conseiller et de cajoleur de toute la famille impériale s’étendant jusqu’aux frivoles Leichtenberg, rôle auquel personne ne t’a appelé et que personne ne t’a reconnu, tu reproches à Alexandre Nicolaevitch[1] d’humilier la classe des paysans qui lui sont dévoués vis-à-vis de celle de la noblesse, toujours hostile à sa personne. Tu as beau essayer de l’édifier, Herzen, mais guidé par l’instinct de la conservation,

  1. Alexandre II (Trad.)