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aussi des villages entiers ; le tzar peut faire émigrer toute une population de telle ou telle commune, et cela sans exciter le moindre murmure des intéressés, pourvu qu’on leur abandonne un terrain quelconque ailleurs. « La terre est à nous, et nous-mêmes, nous appartenons au tzar », disent-ils. Eh bien, mes amis, avec ces idées-là, le peuple russe ne fera pas beaucoup de chemin. Et, en effet, ces avantages, ces préférences que renferme en elle la commune rurale de la Russie, existent déjà depuis des siècles, mais elles n’amenèrent jusqu’ici qu’à un esclavage odieux et à la pourriture. Elles contribuèrent encore à la négation par les raskolniks de toute l’organisation de l’État et des principes inaugurés pendant la période moscovite et consacrés par Pierre le Grand, à la création des organisations cosaques, enfin, à la révolte des paysans.

Notre commune rurale n’a pas évolué, elle n’a subi aucun développement intérieur et aujourd’hui encore elle est ce qu’elle a été cinq cents ans d’ici. Et si au fond de cette commune on peut observer quelque tendance de fermentation qui est due à la pression de l’État, c’est là un processus de désagrégation. Tout paysan arrivé à un certain bien être et à une situation qui le place au-dessus de ses covillageois, fait son possible pour s’affranchir de la commune qui l’oppresse et où il étouffe. Quelle est donc la cause de cette immobilité, de cette improductivité de la commune rurale en Russie ? Est-ce parce qu’elle ne renferme en elle-même aucun élément de progrès ? Eh bien, oui. Il n’y a pas de liberté dans son organisation, et c’est un fait acquis que, cet élément étant absent, aucun mouvement social n’est plus possible. Qu’est-ce donc qui empêche la liberté d’y éclore ?