Page:Bakounine - Lettres à Herzen et Ogarev, trad. Stromberg, Perrin, 1896.djvu/231

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Russie. Avec une foi mystique, — passez-moi le mot bien qu’il soit blessant, il est, néanmoins, très juste, — oui, avec une loi mystique et une passion théorétique, vous attendez de cette commune non seulement le salut du peuple russe, mais encore de tous les pays slaves, de l’Europe elle-même, enfin, de tout l’univers…

À propos, dites-moi, pourquoi, bien que solitaires, mais orgueilleux de votre création de cette théorie, que dans les profondeurs de la commune rurale russe est recelée une lumière mystérieuse et une force latente, — théorie qui n’a été admise, ni même comprise de personne, — vous n’avez pas daigné donner une réponse sérieuse et précise au reproche que votre ami vous avait adressé très sérieusement. Cet ami vous écrivait : « Vous perdez vos forces inutilement… Vous vous imaginez que le progrès pourra se réaliser paisiblement. Mais non ; paisiblement il ne pourra s’accomplir. Peut-être, conservez-vous encore même jusque dans cette malencontreuse onzième heure, l’espoir en la foi gouvernementale ; mais ce gouvernement aurait-il donc la puissance de faire autre chose que du mal ? En vous engageant dans cette voie, vous avez mis le pied à faux sur l’izba russe qui elle-même a failli et qui, depuis, pendant des siècles entiers, demeure plongée dans une immobilité chinoise tout avec son droit à la terre ».

Pourquoi n’avez-vous jamais voulu essayer de développer sur les pages de votre Cloche cette question d’une si grande importance et si décisive pour votre théorie, à savoir : Pourquoi cette commune rurale russe, de laquelle vous espérez tant de prodiges dans l’avenir, n’a pu produire depuis dix siècles de son