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talent d’écrire pour les soldats, et peut être, aussi pour le peuple. Pour vous en donner une idée, je vous envoie sa chanson : « Eh, petit père ! » C’est un autodidacte, très intéressant. Il est né Polonais et il a passé sa première enfance dans son pays. Mais à l’âge de quinze ans il fut enrôlé dans un régiment et, en qualité de soldat, continua son service pendant dix ans environ. Promu officier, il resta encore pendant deux ou trois années dans l’armée, après quoi il prit sa retraite. De sorte que par son esprit, ses instincts, son langage et, peut être, aussi par ses péchés d’autrefois, il est plus Russe que nous autres, natifs de la Russie. Après la mort de Nicolas, il publia un journal, Causerie des soldats qui eut un succès immense dans la garde et l’infanterie. Il paraît que le secret de sa puissance sur l’esprit des soldats est dans l’amour sincère qu’il leur porte ; il leur parle de ce que leur cœur ressent. En même temps, il a su gagner, avec une adresse, vraiment russe, la confiance et les bonnes grâces de ses supérieurs ; peut-être, a-t-il usé pour cela de quelque moyen peu louable, toujours est-il, que la propagation de son journal dans l’armée, fut favorisée par les autorités militaires elles-mêmes qui regardaient ce jeune directeur comme un des leurs. Et de ce fait, notre parti se montra hostile à sa personne, en le traitant avec une défiance complète. L’« Iskra »[1] l’attaqua aussi très souvent. Néanmoins, des Russes arrivés du pays, et qui l’ont connu à Pétersbourg, l’attestent comme un homme honorable et digne de toute confiance. Il m’a été surtout recommandé par un personnage très respectable dont je fis connaissance à

  1. « L’Étincelle », journal satirique illustré (Trad.).