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il s’agit d’un voyage d’une autre personne, il n’y a pas à se presser, vu que la comtesse aurait remis le sien à une date éloignée, et dans ce cas ta lettre aura tout le temps de lui parvenir. Pour bien des motifs, je crains de la compromettre, et si cette lettre ne la trouvait pas, c’en serait fini d’elle. Écris-moi donc de suite, si c’est à la comtesse elle-même que L. fait allusion ? Sinon, je lui enverrai ta lettre immédiatement. J’espère que tu comprendras mon « dans le doute abstiens-toi » et que tu ne m’en voudras pas. J’en serais peiné, surtout dans le cas présent ; il est certain que je suis toujours prêt à faire pour toi personnellement tout ce qui est dans la mesure de mes forces, en dehors de cette chose insignifiante.

Maintenant, parlons d’affaires impersonnelles. Dans cet ordre de choses ce n’est pas que je sois, précisément, fâché contre toi Bakounine, mais je m’aperçois par moments que ma foi en toi m’abandonne. J’espère que ma franchise est incapable de provoquer chez toi un sentiment d’irritation comme ce pourrait être le cas si je me trouvais en face de quelque homme vulgaire, que tu réfléchiras sincèrement à mes paroles et que tu demanderas à ta conscience si j’ai raison.

Voici les faits :

Lorsque arriva l’ukase du tzar expliquant que le chiffre 25/1000 ne veut pas dire que 25,000 recrues sont demandées aux villes seulement, je sautai de joie. Car je pressentais que cette mesure devait couper court à la tentative si funeste à nos idées et si néfaste pour le bonheur de la Russie, pour la liberté du peuple, pour tout ce qui nous est cher et que nous estimons comme notre sainte cause. Mais toi, tu fus désorienté par cette nouvelle, à tel point,