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jalousie, la haine, le vide et l’engourdissement d’un cœur qui a cessé de battre ; avec cela, des paroles généreuses, des phrases retentissantes et des actes insignifiants. Et tout cela veut se produire et se porte vers la Cloche, vu qu’il n’existe pas d’autre organe russe libre. Par le temps qui court, il n’est pas difficile de dissimuler sa véritable physionomie sous le masque du libéralisme et du démocratisme, — qui donc n’a pas connaissance de ces grands mots aux belles phrases ! Elles sont si bon marché, si inoffensives et présentent si peu de danger aujourd’hui. On les entend si souvent retentir dans tous les coins et recoins de la Russie, jusqu’en Sibérie même, qu’on se sent froissé en les répétant. Un libéralisme officiel, un démocratisme officiel, des sons, des paroles vides de sens, derrière lesquelles s’abrite une réalité mesquine tellement abominable que l’on en éprouve des nausées ; car, en Russie, les paroles me produisent l’effet d’un vomitif, — plus elles sont fortes et brillantes, plus forte est la nausée qu’elles provoquent. On ne peut ajouter foi qu’aux affirmations de ceux chez lesquels elles passent en action. Et je voudrais voir élever des gibets proportionnés à la hauteur des discours de ces orateurs ; car, plus éloquent serait le développement de leur thèse, plus haut devrait se dresser le gibet érigé à leur intention. Parmi vos correspondants s’en trouverait-il beaucoup de ceux qui seraient capables et prêts à se dévouer réellement à notre noble cause, à laquelle les paroles magnanimes qu’ils prodiguent semblent cependant, les appeler. Et néanmoins vous les écoutez attentivement !… Vous avez entrepris une tâche difficile presque impossible, c’est celle de juger de Londres les personnes qui vivent et agissent en Russie. Tant que les grands rôles