Page:Bakounine - Dieu et l’État, 1892.djvu/113

Cette page n’a pas encore été corrigée

contraire beaucoup.

Béranger et P.-L. Courrier exprimèrent parfaitement cette tendance nouvelle. Le « Dieu des bonnes gens » et l’idéal du roi bourgeois, à la fois libéral et démocratique, dessinés sur le fond majestueux et désormais inoffensif des victoires gigantesques de l’Empire, tel fut à cette époque le tableau que la bourgeoisie de France se faisait du gouvernement de la société. Limartine, aiguillonné par la monstrueuse et ridicule envie de s’élever à la hauteur poétique du grand Byron, avait bien commencé ses hymnes froidement délirants en l’honneur du Dieu des gentilshommes et de la monarchie légitime, mais ses chants ne retentissaient que dans les salons aristocratiques. La bourgeoisie ne les entendait pas. Béranger était son poète et Courrier son écrivain politique.

La révolution de Juillet eut pour conséquence l’ennoblissement de ses goûts. On sait que tout bourgeois en France porte en soi le type impérissable du bourgeois gentilhomme, type-qui ne manque jamais d’apparaître aussitôt que le parveuu acquiert richesse et puissance. En 1830, la riche bourgeoisie avait définitivement remplacé l’antique noblesse au pouvoir. Elle tendit naturellement à fonder une aristocratie nouvelle. Aristocratie de capital avant tout, mais en somme distinguée, de bonnes manières et à sentiments délicats. Elle commença : à se sentir religieuse.

Ce ne fut pas de sa part simple singerie des mœurs aristocratiques. C’était aussi une nécessité de position. Le prolétariat lui avait rendu un dernier service en l’aidant encore une fois à renverser la noblesse. La bourgeoisie n’avait plus besoin maintenant de ce concours, car elle se sentait solidement assise à l’ombre du trône