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des peuples alliés, plus ou moins liés avec nous par leurs nationalités, leur langue qui ressemble à la nôtre, leurs idées morales et leurs intérêts matériels, enfin leur organisation sociale et leur politique, qui ne pourront différer des nôtres. Mais, dira-t-on, la Pologne se transformera en un fort état aristocratique, monarchique, peut-être, et, mue par son ancienne haine contre nous, elle recommencera sa lutte pernicieuse contre la Russie ; que la Pologne fasse ce que bon lui semble ; mais croyez-vous, en effet, qu’une Pologne aristocratique, noble, et même royale soit possible ? Ne voyez-vous pas qu’une Pologne de chlopi ou de paysans soit la seule qui puisse se réaliser ? Les programmes des nobles ne soulèveront pas un seul paysan.

Quand les chlopis ou paysans polonais entendront que le peuple s’est levé pour sa liberté et sa glèbe, ni les habitants de l’Ukraine, de la Russie-Blanche, de la Lituanie, ni même les Polonais ne marcheront contre nous, dans le cas même que les nobles voulussent les y mener. Que craignez-vous enfin pour le peuple de la Grande-Russie, qui compte quarante millions d’habitants ? Il est assez fort pour se défendre, et il se défendra ! Ne craignez pas qu’il perde son auréole et sa force politique, qui s’est développée pendant trois siècles qu’il s’est dévoué en martyr pour son unité. Nous avons à choisir entre deux choses : ou bien, restant esclaves, nous dépenserons nos dernières forces pour retenir quelques années encore la Pologne, la Lithuanie et l’Ukraine dans l’esclavage ; c’est-à-dire nous nous donnerons à nous-mêmes le coup de grâce, afin que les Slaves indignés nous repoussent plus tard en Asie. Mais cela est impossible : le peuple de la Grande-Russie n’est pas en cause dans vos plans ambitieux. Que lui importe que les mêmes tchinovniks qui dévalisent, pillent et oppriment la Lituanie, la Petite-Russie et l’Ukraine. Et ce n’est qu’en cela seul que consiste l’unité du grand empire russe.

Il faut au peuple sa liberté, sa glèbe. Il les conquerra bientôt, mais il n’a que faire de la glèbe ou de la liberté qui ne lui appartiennent pas.