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Pour nous, soldats de la liberté, la question du droit est une question vitale. Nous comprenons que la véritable force ne repose que dans le droit ; qu’il est absurde, criminel, ridicule, impossible en pratique, de se soulever au nom de la liberté et d’opprimer, en même temps, les peuples voisins.

Nous voulons laisser aux Allemands, nos professeurs en logique et, comme cela est depuis longtemps reconnu les gens les plus pratiques du monde, le soin d’expliquer cette logique difficile à comprendre ; leur cœur est si grand qu’il donne place en un et même temps à l’indignation contre les Danois, parce qu’ils veulent danoiser les Allemands du Schleswig-Holstein et contre les Slaves de la Posnanie et du pays des Tchechs (la Bohême) qui ne veulent pas être germanisés. Notre cœur à nous n’a pas une élasticité pareille.

Je demande encore de quel droit retiendrons-nous la Lituanie, la Russie-Blanche, l’Ukraine et toutes les autres provinces qui nous sont maintenant soumises, si elles désirent se rallier à la Pologne ? On nous répondra : par le droit que tout le monde a de sauvegarder, car en arrachant à la Russie actuelle sa part occidentale, on la rejettera de nouveau en Asie. Est-ce vrai ? L’Asie, dans ce sens, n’a pas de limites géographiques, mais en a de morales. La population de la Sibérie, qui vit au delà le l’Oural, en Asie donc, d’après les notions géographiques, est-elle inférieure à la population de la Russie européenne ? N’est-elle pas plus forte et, en tout cas, plus libre ?

Dans le sens moral, social et politique, les limites de l’Asie sont là où commencent l’arbitraire et la violence. Si cela est vrai, nous sommes maintenant en Asie ou plutôt l’Asie gouverne la Russie. Car notre monde officiel, toute notre actualité ne sont rien d’autre qu’un amalgame d’arbitraire tatare et de formes allemandes.

Renvoyons nos Tatares en Asie, nos Allemands en Allemagne ; devenons un peuple libre et russe et alors personne n’aura la force, ni la volonté de nous refouler hors de l’Europe. Nous n’en serons pas séparés, car il y aura entre elle et nous, en tout cas,