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patrie abstraite, maudissait la brutalité et le matérialisme des masses, des paysans en particulier, qui ne se sont jamais montrés disposés à se sacrifier pour la grandeur non plus que pour l’indépendance de cette Patrie politique, de l’État.

Si la jeunesse avait pris la peine de réfléchir, elle aurait compris peut-être depuis longtemps que cette indifférence bien décidée des masses populaires pour les destinées de l’État italien, non seulement n’est point un déshonneur pour elles, mais prouve tout au contraire leur intelligence instinctive, qui leur fait deviner que cet État unitaire et centralisé leur est, par sa nature même, non seulement étranger, mais hostile, et qu’il est profitable seulement aux classes privilégiées, dont il garantit, à leur détriment, la domination et la richesse. La prospérité de l’État, c’est la misère de la nation réelle, du peuple ; la grandeur et la puissance de l’État sont l’esclavage du peuple. Le peuple est l’ennemi naturel et légitime de l’État ; et bien qu’il se soumette — trop souvent, hélas ! — aux autorités, toute autorité lui est odieuse. L’État n’est pas la Patrie ; c’est l’abstraction, la fiction métaphysique, mystique, politique, juridique de la Patrie. Les masses populaires de tous les pays aiment profondément leur patrie ; mais c’est un amour naturel, réel ; le patriotisme du peuple n’est pas une idée, mais un fait ; et le patriotisme politique, l’amour de l’État, n’est pas l’expression juste de ce fait, mais une expression dénaturée au moyen d’une abstraction mensongère,