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devient le point de départ de nouveaux groupements. Les nécessités de la lutte poussent les travailleurs à se soutenir d’un pays à l’autre et d’une profession à l’autre ; donc, plus la lutte devient active, plus cette fédération des prolétaires doit s’étendre et se renforcer. Et alors des économistes à la vue étroite viennent accuser cette fédération des travailleurs, représentée par l’Association internationale, de pousser à la grève et de créer l’anarchie ! C’est tout simplement prendre l’effet pour la cause : ce n’est pas l’Internationale qui crée la guerre entre l’exploiteur et l’exploité, mais ce sont les nécessités de la guerre qui ont créé l’Internationale[1].

(Égalité du 3 avril 1869.)
  1. L’assemblée bourgeoise du 31 mars provoqua une contre-manifestation de la part de la classe ouvrière. Une assemblée de protestation fut convoquée pour le vendredi 2 avril, au Stand de la Coulouvrenière, assemblée composée exclusivement d’ouvriers de nationalité suisse, afin que les adversaires ne pussent pas continuer à prétendre que c’était l’élément étranger qui fomentait les grèves et qui dominait le mouvement ouvrier à Genève. Plus de cinq mille ouvriers suisses répondirent à l’appel ; ils votèrent à l’unanimité une adresse protestant énergiquement contre les assertions contenues dans l’adresse bourgeoise du 31 mars ; elle disait : « Nous repoussons avec indignation la calomnie qui présente les grèves actuelles comme ayant été décrétées à l’instigation de l’étranger, dans le but de compromettre notre indépendance nationale ; nous déclarons en outre, nous membres des diverses sociétés ouvrières adhérentes à l’Association internationale des travailleurs, que nous n’avons jamais reçu, ni directement, ni indirectement, d’ordres de l’étranger ; que, si le canton de Genève voit son industrie péricliter, ce n’est pas par le fait de décrets imaginaires venant de Londres ou de Paris, et qu’enfin ce n’est pas nous qui songeons à supprimer le travail, ni même à l’entraver » ; en outre l’adresse revendiquait « la liberté de s’entendre avec des camarades pour les engager à ne pas travailler dans des ateliers ou chantiers déclarés en grève », et terminait en disant : « Nous concentrerons tous nos efforts et toute notre énergie pour apporter de profonds changements dans les rapports entre le capital et le travail ». Cette imposante manifestation ouvrière causa une profonde impression sur les esprits ; les délégués de l’Association des patrons du bâtiment signèrent le 10 avril une convention faisant droit aux réclamations des ouvriers et accordant en outre une augmentation de salaire. Quant à la grève des typographes, elle se prolongea jusqu’en juin ; mais comme un tiers des ouvriers typographes s’étaient refusés à cesser le travail, les patrons gardèrent l’avantage, et les grévistes rentrèrent, vaincus, dans les ateliers, à l’exception de quelques-uns qui, avec l’appui de l’Internationale, fondèrent une imprimerie coopérative.