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L’aristocratie de l’intelligence, cet enfant chéri du doctrinarisme moderne, ce dernier refuge de l’esprit de domination qui depuis le commencement de l’histoire a affligé le monde et qui a constitué et sanctionné tous les États, ce culte prétentieux et ridicule de l’intelligence patentée, n’a pu prendre naissance qu’au sein de la bourgeoisie. L’aristocratie nobiliaire n’a pas eu besoin de la science pour prouver son droit. Elle avait appuyé sa puissance sur deux arguments irrésistibles, lui donnant pour base la violence, la force de son bras, et pour sanction la grâce de Dieu. Elle violait et l’Église bénissait, — telle était la nature de son droit. Cette union intime de la brutalité triomphante avec la sanction divine lui donnait un grand prestige, et produisait en elle une sorte de vertu chevaleresque qui conquérait tous les cœurs.

La bourgeoisie, dénuée de toutes ces vertus et de toutes ces grâces, n’a pour fonder son droit qu’un seul argument : la puissance très réelle, mais très prosaïque de l’argent. C’est la négation cynique de toutes les vertus : si tu as de l’argent, quelque canaille ou quelque stupide que tu sois, tu possèdes tous les droits ; si tu n’as pas le sou, quels que soient tes mérites personnels, tu ne vaux rien. Voilà dans sa rude franchise le principe fondamental de la bourgeoisie. On conçoit qu’un tel argument, si puissant qu’il soit, ne pouvait suffire à l’établissement et surtout à la consolidation de la puissance bourgeoise. La société humaine est ainsi faite que les plus mau-