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La solidarité que nous demandons, loin de devoir être le résultat d’une organisation artificielle ou autoritaire quelconque, ne peut être que le produit spontané de la vie sociale, tant économique que morale ; le résultat de la libre fédération des intérêts, des aspirations et des tendances communes. Elle a pour bases essentielles l’égalité, le travail collectif, devenant obligatoire pour chacun non par la force des lois, mais par la force des choses, et la propriété collective ; pour lumière dirigeante l’expérience, c’est-à-dire la pratique de la vie collective, et la science ; et pour but final la constitution de l’humanité, par conséquent la ruine de tous les États.

Voilà l’idéal non divin, ni métaphysique, mais humain et pratique[1] qui correspond seul aux

  1. Pratique dans ce sens, que sa réalisation sera beaucoup moins difficile que celle de l’idée marxienne, qui, à côté de la pauvreté de son but, présente encore ce grave inconvénient d’être absolument impraticable. Ce ne sera pas la première fois que des hommes habiles, raisonnables, préconisateurs de choses pratiques et possibles, seront reconnus pour des utopistes, et que ceux qu’on appelle utopistes, aujourd’hui, seront reconnus pour des hommes pratiques le lendemain. L’absurdité |34 du système marxien consiste précisément dans cette espérance qu’en rétrécissant le programme socialiste outre mesure pour le faire accepter par les bourgeois radicaux, il transformera ces derniers en des serviteurs inconscients et involontaires de la révolution sociale. C’est là une grande erreur ; toutes les expériences de l’histoire nous démontrent qu’une alliance conclue entre deux partis différents tourne toujours au profit du parti le plus rétrograde ; cette alliance affaiblit nécessairement le parti le plus avancé, en amoindrissant, en faussant son programme, en détruisant sa force morale, sa confiance en lui-même ; tandis que lorsqu’un parti rétrogradement, il se retrouve toujours et plus que jamais dans sa vérité. L’exemple de Mazzini qui, malgré sa rigidité républicaine, a passé toute sa vie en transactions avec la monarchie, et |35 qui, avec tout son génie, a fini toujours par en être la dupe, cet exemple ne doit pas être perdu pour nous. Quant à moi, je n’hésite pas à dire que toutes les coquetteries marxiennes avec le radicalisme, soit réformiste, soit révolutionnaire, des bourgeois, ne peuvent avoir d’autres résultats que la démoralisation et la désorganisation de la puissance naissante du prolétariat, et par conséquent une consolidation nouvelle de la puissance établie des bourgeois. (Note de Bakounine.)