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drai que si, jusqu’à présent, les intérêts n’ont été jamais et nulle part en accord mutuel, cela fut à cause de l’État, qui a sacrifié les intérêts de la majorité au profit d’une minorité privilégiée. Voilà pourquoi cette fameuse incompatibilité et cette lutte des intérêts personnels avec ceux de la société n’est rien autre qu’une duperie et un mensonge politique, né du mensonge théologique, qui imagina la doctrine du premier péché pour déshonorer l’homme et détruire en lui la conscience de sa propre valeur. Cette même idée fausse de l’antagonisme des intérêts fut enfantée aussi par les rêves de la métaphysique, qui, comme on sait, est proche parente de la théologie. Méconnaissant la sociabilité de la nature humaine, la métaphysique regardait la société comme un agrégat mécanique et purement artificiel d’individus, associés tout à coup, au nom d’un traité quelconque formel ou secret, conclu librement ou bien sous l’influence d’une force supérieure. Avant de s’unir en société, ces individus, doués d’une sorte d’âme immortelle, jouissaient d’une entière liberté.

Mais si les métaphysiciens, surtout ceux croyant en l’immortalité de l’âme, affirment que les hommes sont, en dehors de la société, des êtres libres, nous arrivons inévitablement alors à cette conclusion, que les hommes ne peuvent s’unir en société qu’à condition de renier leur liberté, leur indépendance naturelle, et de sacrifier leurs intérêts, personnels d’abord, locaux ensuite. Un tel renoncement et un tel sacrifice de soi-même doit être, par cela même,