Page:Bakounine - Œuvres t4.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’Angleterre, la Belgique, la Suisse et les États-Unis d’Amérique, la liberté et les droits politiques dont les ouvriers sont censés jouir ne sont rien qu’une fiction. Esclaves de leurs patrons au point de vue économique, ils sont, au point de vue politique, également des esclaves. Ils n’ont ni l’instruction, ni le loisir, ni l’indépendance nécessaires pour exercer librement, et avec pleine connaissance de cause, leurs droits de citoyens. Ils ont, dans les pays les plus démocratiques et qui sont gouvernés par les élus du suffrage universel, un jour de règne ou plutôt un jour de saturnales : c’est celui des élections. Alors les bourgeois, leurs oppresseurs, leurs exploiteurs de chaque jour et leurs maîtres, viennent à eux chapeau bas, leur parlant d’égalité, de fraternité, et les appelant le |93 peuple souverain, dont ils ne sont, eux les bourgeois, rien que les serviteurs très humbles, les représentants de sa volonté. Ce jour passé, la fraternité et l’égalité s’en vont en fumée, les bourgeois redeviennent des bourgeois, et le prolétariat, le peuple souverain, reste esclave.

Telle est la pure vérité sur le système de la démocratie représentative tant vantée par les bourgeois radicaux, alors même qu’il est corrigé, complété, développé, avec une intention populaire, par le referendum ou par cette « législation directe du peuple » tant prônée par une école allemande, qui à tort s’appelle socialiste[1]. Depuis deux ans à peu près, le

  1. Au quatrième Congrès général de l’Internationale, à Bâle, tenu un an auparavant, quelques délégués de langue allemande avaient proposé la mise à l’ordre du jour du Congrès de la question de la législation directe pur le peuple. « Cette question avait été soulevée par Karl Bürkly et la Section de Zürich. Les Zuricois, qui viennent d’introduire (1868) le referendum dans leur constitution, se figurent volontiers avoir trouvé là un moyen capable de résoudre toutes les questions sociales, et il était naturel qu’ils voulussent faire part à l’Internationale de cette belle découverte. Aux Zuricois se joignaient certains démocrates bourgeois, comme M. Gœgg, qui veulent à tout prix endormir le prolétariat et le détourner de la révolution, et qui seraient fort heureux de lui offrir la législation directe en manière d’amusette ; puis le nouveau parti socialiste allemand, dirigé par M. Liebknecht, qui… veut préluder par l’agitation politique à la révolution sociale ; puis enfin un innocent maniaque, M. Rittinghausen, qui a fait de la législation directe sa foi et l’unique but de sa vie, qui déjà en 1849, avec Considérant, avait lutté en France pour cette idée avec plus de courage que de succès, et qui après vingt ans revient encore à la charge. » (Le Progrès, du Locle, du 18 septembre 1869.) Le Congrès de Bâle avait refusé d’inscrire la question à son ordre du jour. — J. G.