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ciens de toutes les |160 couleurs, jusqu’au dernier vendeur d’epices, tous répéteront à l’unisson ces paroles de Voltaire :

Si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer.

Car, vous comprenez, il faut une religion pour le peuple. C’est la soupape de sûreté.

Il existe enfin une catégorie assez nombreuse d’âmes honnêtes mais faibles, qui, trop intelligentes pour prendre les dogmes chrétiens au sérieux, les rejettent en détail, mais n’ont ni le courage, ni la force, ni la résolution nécessaire pour les repousser en gros. Elles abandonnent à votre critique toutes les absurdités particulières de la religion, elles font fi de tous les miracles, mais elles se cramponnent avec désespoir à l’absurdité principale, source de toutes les autres, au miracle qui explique et légitime tous les autres miracles, à l’existence de Dieu. Leur Dieu n’est point l’Être vigoureux et puissant, le Dieu brutalement positif de la théologie. C’est un Être nébuleux, diaphane, illusoire, tellement illusoire que, quand on croit le saisir, il se transforme en Néant ; c’est un mirage, un feu follet qui ne réchauffe ni n’éclaire. Et pourtant ils y tiennent, et ils croient que s’il allait disparaître, tout disparaîtrait avec lui. Ce sont des âmes incertaines, maladives, désorientées dans la civilisation actuelle, n’appartenant ni au présent ni à l’avenir, de pâles fantômes éternellement suspendus entre le ciel et la terre, et occupant entre la politique bourgeoise et le socia-