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mais lui seul sur cette terre a la conscience de sa religion.

La religion, a-t-on dit, est le premier éveil de la raison. Oui, mais sous la forme de la déraison. La religion, ai-je dit tout à l’heure, commence par la crainte. Et en effet, l’homme, en s’éveillant aux premières lueurs de ce soleil intérieur qui s’appelle la conscience de soi-même, et en sortant lentement, pas à pas, du demi-sommeil magnétique, de cette existence toute d’instinct qu’il menait lorsqu’il se trouvait encore à l’état de pure innocence, c’est-à-dire à l’état d’animal ; étant d’ailleurs né, comme tout animal, dans la crainte de ce monde extérieur qui le produit et qui le détruit, — l’homme a dû avoir nécessairement pour premier objet de sa naissante réflexion cette crainte même. On peut même présumer que chez l’homme primitif, à l’éveil de son intelligence, cette terreur instinctive devait être plus forte que chez d’autres animaux ; d’abord parce qu’il naît beaucoup moins armé que les autres et que son enfance dure plus longtemps ; et ensuite, parce que cette même réflexion, à peine éclose, et non encore arrivée à un degré suffisant de maturité et de force pour reconnaître et pour utiliser les objets extérieurs, a dû tout de même arracher l’homme à l’union, à l’harmonie instinctive dans laquelle, comme cousin du gorille, avant que sa pensée ne se fût éveillée, il a dû se trouver avec tout le reste de la nature. La première réflexion l’isolait en quelque sorte au milieu de ce monde extérieur, qui, lui devenant étranger, a