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causalité ou la nature universelle n’est possible à l’homme : elle l’enveloppe, elle le pénètre, elle est aussi bien en dehors de lui qu’en lui-même, elle constitue tout son être. En se révoltant contre elle, il se révolterait contre lui-même. Il est évident qu’il est impossible à l’homme de concevoir seulement la velléité et le besoin d’une pareille révolte, puisque, n’existant pas en dehors de la nature universelle et la portant en lui-même, se trouvant à chaque instant de sa vie en pleine identité avec elle, il ne peut se considérer ni se sentir vis-à-vis d’elle comme un esclave. Au contraire, c’est en étudiant et en s’appropriant pour ainsi dire par la pensée les lois éternelles de cette nature, — lois qui se manifestent également et dans tout ce qui constitue son monde extérieur et dans son propre développement individuel : corporel, intellectuel et moral, — qu’il parvient à secouer successivement le joug de la nature extérieure, celui de ses propres imperfections naturelles, et, comme nous le verrons plus tard, celui d’une organisation sociale autoritairement constituée.

Mais alors comment a pu surgir dans l’esprit de l’homme cette pensée historique de la séparation de l’esprit et de la matière ? Comment a-t-il pu concevoir la tentative impuissante, ridicule, mais également historique, d’une révolte contre la nature ? Cette pensée et cette tentative sont contemporaines de la création historique de l’idée de Dieu ; elles en ont été la conséquence nécessaire. L’homme n’a entendu d’abord sous ce mot « nature » que ce que nous appelons la nature extérieure, y compris son propre corps ; et ce que nous appelons la nature universelle, il l’a appelé « Dieu » ; dès lors les lois de la nature sont devenues, non des lois inhérentes, mais des manifestations de la volonté divine, des commandements de Dieu, imposés d’en haut tant à la nature qu’à l’homme. Après quoi, l’homme, prenant |166 parti pour ce Dieu créé par lui-même, contre la nature et contre lui-même, s’est déclaré en révolte contre elle et a fondé son propre esclavage politique et social.

Telle fut l’œuvre historique de tous les dogmes et cultes religieux.

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