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doivent céder le pas à celles de l’intérêt public.

|278 Il est évident que les masses ignorantes subissent trop facilement l’influence pernicieuse des charlatans. (Voir l’influence des prêtres et des gros propriétaires dans les campagnes, et celle des avocats et des fonctionnaires de l’État dans les villes.) Elles n’ont aucun moyen matériel de connaître le caractère, les vraies pensées et les réelles intentions des individus (des politiciens de toutes les couleurs) qui se recommandent à leur suffrage ; la pensée et la volonté des masses sont presque toujours la pensée et la volonté de ceux qui trouvent un intérêt quelconque à les inspirer, soit d’une manière, soit d’une autre[1]. D’un autre côté, le prolétariat, qui constitue pourtant une grande partie de la population, ne possédant rien, n’ayant absolument rien à perdre, n’a aucun intérêt à la conservation de l’ordre

  1. J’avoue que je partage cette opinion des libéraux doctrinaires, qui est aussi celle de beaucoup de républicains modérés. J’en tire seulement des conclusions diamétralement opposées à celles qu’en déduisent les uns et les autres. J’en conclus à la nécessité de l’abolition de l’État, comme d’une institution nécessairement oppressive pour le peuple, alors même qu’elle se donne le suffrage universel pour base, il est clair, pour moi, que le suffrage universel, tant préconisé par M. Gambetta, — et pour cause, M. Gambetta étant le dernier représentant inspiré et croyant de la politique avocassière et bourgeoise, — que le suffrage universel, dis-je, est l’exhibition à la fois la plus large et la plus raffinée du charlatanisme politique de l’État ; un instrument dangereux, sans doute, et qui demande une grande habileté de la part de celui qui s’en sert, mais qui, si on sait bien s’en servir, est le moyen le plus sûr de faire coopérer les masses à l’édification de leur propre prison. Napoléon III a fondé toute sa puissance sur le suffrage universel, qui n’a jamais trompé sa confiance. Bismarck en a fait la base de son Empire knouto-germanique. Je reviendrai plus amplement sur cette question, qui constitue, selon moi, le point principal et décisif qui sépare les socialistes révolutionnaires non seulement des républicains radicaux, mais encore de toutes les écoles des socialistes doctrinaires et autoritaires. (Note de Bakounine.)