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La seule Amérique du Nord fait encore en grande partie exception à cette règle. Mais loin de la renverser, cette exception même la confirme. Si les ouvriers y sont mieux rétribués qu’en Europe et si personne n’y meurt de faim, si, en même temps, l’antagonisme des classes n’y existe encore presque pas, si tous les travailleurs sont citoyens et si la masse des citoyens y constitue proprement un seul corps, enfin si une forte instruction primaire et même secondaire y est largement répandue dans les masses, il faut l’attribuer sans doute en bonne partie à cet esprit traditionnel de liberté que les premiers colonistes ont importé d’Angleterre : suscité, éprouvé, raffermi dans les grandes luttes religieuses, ce principe de l’indépendance individuelle et du selfgovernment communal et provincial, se trouve encore favorisé par cette rare circonstance, que transplanté dans un désert, délivré pour ainsi dire des obsessions du passé, il put créer un monde nouveau — le monde de la liberté. Et la liberté est une si grande magicienne, elle est douée d’une productivité tellement merveilleuse, que se laissant inspirer par elle seule, en moins d’un siècle, l’Amérique du Nord a pu atteindre, et on pourrait dire aujourd’hui, même dépasser la civilisation de l’Europe. Mais il ne faut pas s’y tromper, ces progrès merveilleux et cette prospérité si enviable sont dus en grande partie et surtout à un important avantage que