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négation de l’égalité et de la solidarité humaines. La question sociale, posée pratiquement aujourd’hui par le monde ouvrier de l’Europe et de l’Amérique, et dont la solution n’est possible que par l’abolition des frontières des États, tend nécessairement à détruire cette habitude traditionnelle dans la conscience des travailleurs de tous les pays. Je montrerai plus tard comment, dès le commencement de ce siècle, elle a été déjà fortement ébranlée dans la conscience de la haute bourgeoisie financière, commerçante et industrielle, par le développement prodigieux et tout international de sa richesse et de ses intérêts économiques. Mais il faut que je montre d’abord comment, bien avant cette révolution bourgeoise, le patriotisme naturel, instinctif et qui par sa nature même ne peut être qu’un sentiment très étroit, très restreint et une habitude collective toute locale, a été, dès le début de l’histoire, profondément modifié, dénaturé et diminué par la formation successive des États politiques.

En effet, le patriotisme en tant que sentiment tout à fait naturel, c’est-à-dire produit par la vie réellement solidaire d’une collectivité et encore point ou peu affaibli par la réflexion ou par l’effet des intérêts économiques et politiques, aussi bien que par celui des abstractions religieuses ; ce patriotisme sinon tout à fait, du moins en grande partie animal, ne peut embrasser qu’un monde très restreint : une tribu,