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Mais alors, dira-t-on, l’histoire et les destinées de l’humaine société ne présenteraient plus qu’un chaos et ne seraient plus que le jouet du hasard ? Bien, au contraire, du moment que l’histoire est libre de tout arbitraire divin et humain, c’est alors, et seulement alors, qu’elle se présente à nos yeux dans toute la grandeur imposante et en même temps rationnelle d’un développement nécessaire, comme la nature organique et physique, dont elle est la continuation immédiate. Cette dernière, malgré l’inépuisable richesse et variété des êtres réels dont elle est composée, ne nous présente nullement le chaos, mais au contraire un monde magnifiquement organisé, et où chaque partie garde, pour ainsi dire, un rapport nécessairement logique avec toutes les autres. Mais alors, dira-t-on, il y a eu un ordonnateur ? Pas du tout, un ordonnateur, fût-il un Dieu, n’aurait pu qu’entraver par son arbitraire personnel l’ordonnance naturelle et le développement logique des choses, et nous avons vu que la propriété principale de la divinité dans toutes les religions, c’est d’être précisément supérieure, c’est-à-dire contraire à toute logique, et de n’avoir toujours qu’une seule logique à elle : celle de l’impossibilité naturelle, ou de l’absurdité[1]. Car

  1. Dire que Dieu n’est pas contraire à la logique, c’est affirmer qu’il lui est absolument identique, qu’il n’est rien lui-même que la logique, c’est-à-dire que le courant et le développement naturel des choses réelles, c’est-à-dire que Dieu n’existe pas. L’existence de Dieu ne peut donc avoir de valeur que comme la négation des lois naturelles, d’où résulte ce dilemme irréfutable : Dieu est, donc il n’y a point de lois naturelles et le monde présente un chaos. Le monde n’est pas un chaos, il est ordonné en lui-même, donc Dieu n’existe pas.