ou qu’il cuisine comme un dieu : tout le monde se fiche bien qu’il réussisse les truffes au champagne car on veut le portrait d’un tueur, non celui d’un homme ; ses « bons côtés » ne font pas le poids). Les expertises psychiatriques, et c’est très fréquent lorsque l’accusé a refusé de voir les psychiatres, le dépeignent, sans qu’il ait été vu une seconde, comme un être orgueilleux, paranoïaque et sans cœur. Les juges ne manqueront pas de lire les appréciations peu flatteuses des carnets scolaires (l’eussent-elles été qu’il y aurait eu alors bien peu de risques de voir un élève brillant devenir délinquant). Il n’est qu’un déchet, un sale type. On ne juge pas un homme artisan d’une histoire mais un criminel auteur d’un acte isolé. Voilà pourquoi il y a forcément erreur sur la personne. Faudrait-il alors juger l’homme ? Laissons cette question ouverte pour un chapitre ultérieur.
Les détenus vivent quelque chose qui leur reste incompréhensible et lorsque, plus tard, ils répèteront : « J’ai fait une connerie, je paye », ce seront les mots soufflés par les éducateurs ou les psys pour « faire bien » et donc les rapprocher de la sortie. On attend d’eux qu’ils assument. Ils assumeront tout ce qu’on voudra pourvu que ce soit un bon point pour la libération. De toute façon, ils savent depuis le premier jour qu’ils jouent une farce. Immonde.
La réalité, celle qu’ils connaissent au fond des entrailles, c’est leur totale solitude. Les statistiques du ministère confirment les études du sociologue Loïc Wacquant[1] : la moitié des détenus ne reçoivent aucune visite d’un proche durant leur détention (un tiers ne sont attendus par personne à leur sortie), les chiffres sont encore plus sinistres pour les longues peines. Mais il y a peut-être pire que la solitude, l’arrachement.
On pense aux amoureux, bien sûr, mais il arrive alors que la passion devienne flamboyante et par l’absence dure plus longtemps qu’elle n’aurait pu survivre dans une vie normale. En parlant d’arrachement on pense bien plutôt aux mères incarcérées.
- ↑ Cf. Les prisons de la misère, Raisons d’agir, 1999.