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le spectacle. On ne demande jamais au coupable d’éprouver quoi que ce soit dans son for intérieur : s’il veut revenir dans la Société, il doit juste manifester ostensiblement son désir de bien faire.

La question des éventuelles erreurs judiciaires se pose ici d’autant plus souvent qu’il s’agit justement d’une condamnation symbolique : il faut un coupable à tout prix. À tout prix. Quitte, lorsqu’on sait pertinemment qu’il n’est pas le bon, à lui aménager en catimini sa peine ; en France, il n’est pas rare qu’un juge d’application des peines fasse de son mieux pour permettre à un « mal jugé » de sortir quelques années plus tôt que prévu (la victime de l’erreur judiciaire en a déjà fait un certain nombre). Ces petits tripatouillages ne sauraient gêner les pragmatiques : la Société d’abord, la justice après. Quant à l’individu…

Troisième justification de la sanction (et nous nous en tiendrons là) : celle des humanitaires. Elle a été et reste celle des romantiques d’hier et d’aujourd’hui. Elle est empreinte d’un altruisme qui a cette particularité de voir gonfler sans cesse son côté moralisateur. L’individu qui a fauté est forcément très malheureux, il ne demande qu’à s’amender et le châtiment va l’y aider car le coupable a envie d’être pardonné, blanchi. La peine va lui permettre de « refaire sa vie ». Le coupable ne paye plus dans l’absolu au sens des légalistes, non il paye sa dette et rachète ainsi le droit à la liberté au prix de sa souffrance. Là encore il y a expiation, mais elle est censée émaner de la volonté même de l’homme puni. La Société est là pour l’aider ; la prison sera la retraite où il comprendra où sont le bien et le mal ; des professionnels vont chercher à le culpabiliser « le mieux possible »[1] pour l’éduquer au

  1. À l’heure actuelle où les prisons sont remplies de personnes accusées d’avoir eu des rapports sexuels (sans viol) avec des mineurs, les membres de l’institution pénitentiaire sont ahuris de se trouver face à une population carcérale qui nie farouchement et avec un bel ensemble sa culpabilité : chaque incarcéré se sent uniquement inculpé d’avoir été amoureux. Dans ce contexte, le personnel pénitentiaire et les psychologues déploient des trésors d’imagination pour parvenir à culpabiliser ces détenus. Face à l’échec, ils ont de plus en plus souvent recours à la manière forte : le « chantage à la sortie » avec menace à la clé d’une vraie perpétuité dans des unités psychiatriques spéciales.