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Eût-il été question de garde-à-vue ou d’enquête qu’on eût dû d’ailleurs s’interroger, mais il se trouve qu’un an plus tard, des « presque suspects » restaient embastillés sans l’ombre d’un commencement de preuve, au seul motif qu’ils auraient été « capables du fait ». On retrouve là l’uomo delinquente de Cesare Lombroso qui dissertait en 1876 sur la constitution physique et psychique a priori toute spéciale du criminel. Dans cette optique, la liberté et la responsabilité sont des vues de l’esprit, mais la culpabilité aussi. Cette vision positiviste de l’humanité a le mérite de ne pas nous faire prendre des vessies pour des lanternes, elle s’assume comme a-morale. Ce qui est plus gênant c’est qu’elle est aussi irrationnelle que l’est toute peur du danger, elle ne l’évite pas.


L’histoire des idées est toujours difficile à faire, elles se répondent, se contredisent, se dépassent, s’éliminent et se reprennent. Les idées sur le châtiment ne sont d’ailleurs pas légion. Il est à noter cependant que les philosophes se sont donné un mal fou pour le justifier, mais jamais pour justifier la clémence qui n’en a nul besoin. Il est étrange que personne ne s’interroge là-dessus. Qu’on lise des textes antiques ou plus récents de la vallée de l’Indus, de la Grèce, de la Chine, du Moyen-Orient, de l’Europe ou d’ailleurs, on tombe forcément à un moment ou à un autre sur un exemple de clémence devant lequel chacun de tout temps s’est respectueusement incliné. Mystère joyeux…

Comment faire admettre qu’il est bien de faire mal à quelqu’un pour répondre au mal qu’il a fait ? Dans les bistrots comme dans les facultés de droit, on peut entendre trois sortes de justifications.[1] La première repose sur une pensée légaliste : la Loi c’est la Loi, sa force vient de la seule sanction. On punit celui qui l’enfreint. On n’a pas à se poser la question du châtiment ; de même qu’on

  1. Pour un exposé condensé des différents sens de la peine, se reporter au beau travail de Frédéric Gros dans Antoine Garapon, Frédéric Gros, Thierry Pech, Et ce sera Justice, Éditions Odile Jacob, 2001, pp. 13 à 138.