et tous les crépuscules de sa petite enfance, c’est le parfum volé qu’on a offert à sa première amie pour son anniversaire, unique cadeau qu’on ait jamais fait, c’est les mots qu’on n’a pas trouvés pour expliquer un malentendu, ce sont les copains qui ont réussi, policiers, militaires ou vigiles, ceux qui portent une arme pour ne plus avoir peur devant les autres. Se mettre en rupture de ban permet juste de connaître quelques rares instants la fierté d’avoir su dire non à une vie trop moche. Parfois il n’y a même pas eu de colère, seulement un commencement de chagrin. Puis ce refus. Et le payer de la prison — qui sait — en vaut peut-être la peine, la profonde et lourde peine.
Nous connaissons tous des gens aux idées sinistres, d’autres qui vivent sur les nerfs ou ne se cachent pas d’avoir une sexualité bizarre. Mais jamais je n’ai rencontré un être « foncièrement mauvais » ni en prison ni dehors. Certains font de leur méchanceté un gagne-pain, dans la critique littéraire par exemple, pour parvenir à plaire, la cruauté doit alors être brillante ; ce qui est pénible chez les malfaisants, c’est souvent leur platitude. La violence c’est tout autre chose, une fougue mal utilisée, la même à l’origine dont se montre fier un joueur de tennis ou une danseuse qui sait la maîtriser et la plier à ses besoins. Mais avoir les moyens d’apprendre à se servir de sa force n’est pas donné à tous les berceaux.
De l’impossibilité de juger « un criminel », certains déduisent qu’on pourrait juger le crime et non la personne, rappeler simplement les règles du Droit. Cette vieille tradition, déjà attestée au VIe siècle avant notre ère où le Dieu d’Israël déclare qu’il veut la mort du péché, non celle du pécheur[1], a souvent été reprise et tout aussi souvent oubliée par les églises chrétiennes. Issu d’une lignée de rabbins, Émile Durkheim reste fidèle à cette conception d’une faute qu’il faut savoir distinguer de celui qui l’a commise, c’est elle qui doit être mise en accusation, non le malheureux qui
- ↑ Ézéchiel xviii, 32.