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sentît coupable. Son geste n’est-il pas plutôt l’expression du comble de son désespoir face à l’injustice des dieux ?

On doit punir. C’est un impératif. De quel ordre ? Quelques philosophes (pas autant qu’on pourrait le penser) ont essayé de justifier la punition. Le lecteur pressé ou agacé par les vulgarisations trop sommaires pourra s’abstenir de lire le premier chapitre.

Après bien des détours, on en revient aujourd’hui à cette idée (si l’on peut dire) qu’il ne rime à rien de chercher à justifier la punition et qu’il « faut faire confiance à la tradition », quand ce n’est pas à l’instinct.

Dans les Lettres à Lucilius, Sénèque écrit qu’ « aucun homme raisonnable ne punit parce qu’une faute a été commise, mais pour qu’elle ne le soit plus ». Aimable ironie d’un homme aimable entre tous qui mieux que quiconque sait qu’il n’est pas question de raison dans le châtiment. C’est bien l’esprit de vengeance des juges (professionnels ou non) qu’il dénonce dans ses entretiens sur la colère. Si elle n’évite pas les fautes à venir, dit-il, la punition n’a aucun sens[1]. Par la suite, des penseurs allemands se montreront offusqués d’une telle vision utilitariste. La punition ne doit servir à rien. Rien qu’à punir. Et on se l’est tenu pour dit.

En cette époque où une génération a changé totalement de repères (et non pas volontairement, mais parce que les conditions économiques et sociales mises en place par la précédente les rendent caducs), les aînés déboussolés essaient d’imposer à tous, à défaut d’un dogme religieux qui pourrait, lui, susciter dissidences ou hérésies, un signe de ralliement résolument impossible à critiquer : la Loi. Ils s’y réfèrent sans cesse. Le châtiment en est le corollaire indispensable. Chaque fois que quelqu’un dit « La Loi est pour tout le monde » ou « On doit respecter la Loi du pays qui vous accueille » ou « La Loi rend libre » ou « C’est au père d’incarner l’image de la Loi », il convient de le reprendre et de lui faire dire

  1. Lettres à Lucilius. De la colère. xix - 7.