sérieux dans ma réserve. J’ai toujours eu une implacable épouvante du feu, or, je prenais la chansonnette au mot, très littéralement, et je ne pouvais « quand même pas » souhaiter à la maîtresse une mort si horrible. Dans la petite horde, toutes n’avaient pas la même conscience de ce qui se disait là, mais toutes n’étaient pas simplettes non plus et je sentais bien que la farandole enragée exprimait une haine réelle.
J’avais très peur.
Nous étions « heureuses » pourtant. Je me souviens de chacune de mes institutrices, Mlle Obez, Mme Lasser, Mme Lemaire, Mlle Boidin, de braves femmes, très compétentes de surcroît. C’était une bonne école que l’école Sophie-Germain et la directrice, Mlle Goffaert, avait su créer un climat « détendu ». La vie se déroulait sans grand drame. Les maîtresses, plus ou moins sévères, élevaient peu la voix. Parfois, l’une ou l’autre riait, pendant la récréation. Ça nous faisait plaisir. Il y avait d’autres écoles, non loin, où les institutrices avaient l’air méchant ou vulgaire. Pas chez nous, on avait de la chance. Certes elles étaient distantes et cela me serrait le cœur, mais on pouvait toujours poser des questions sur ce qu’on n’avait pas compris, elles répondaient sans s’énerver. Oui, de bonnes maîtresses…
Je n’ai pas de reproches à leur faire. Elles m’ont bien aimée (j’ai tout fait pour ça !). Et je le dis le cœur fendu.
Les enfants n’aiment pas l’école. Ceux qui disent l’aimer, comme je le faisais, vivent souvent dans un système de séduction dont ils ont bien plus de mal à se débarrasser que ceux dont on a brisé la révolte par la répression.
J’« aimais » l’école parce que ça faisait plaisir à Maman. Et que, partant, les institutrices puis les professeurs me savaient gré d’être attentive, disciplinée, obéissante.
Me faire aimer d’elles, c’était surtout échapper à l’enfer d’humiliations où vivaient les « mauvaises » (on disait les « bonnes » et les « mauvaises », c’était toute une conception morale de la réussite scolaire). Il me semblait que jamais je n’aurais pu supporter les constantes réprimandes, les cris, voire les claques, les mains sur la tête, les tours de cour, le coin, la convocation des parents. Maintenant, Marie, j’ai très peur de ma peur ancienne. Quelle dignité pourrais-je attendre de moi si je me trouvais un jour en situation d’être ainsi humiliée ou punie et que « je ne puisse le supporter » ? Si je rampais à six ou douze ans, sans doute ramperais-je encore maintenant et demain.