Cependant, d’autres vivent dans une espèce d’intégrité qui leur demande un courage invraisemblable. Des gens comme Maurice de l’A.P.L. ou Christine embellissent la vie. Ils n’ont pas attendu mai pour choisir le chemin d’être uniques, assurément, mais eux ne se permettraient pas de douter qu’il y a eu alors une chance pour l’être et comme une prophétie. Il est donc possible de se révolter ensemble. Je dis que c’est bon à savoir.
Pour l’heure, vivons vigilantes. Rien ne se perd. Même pas certaines naïvetés de « ces années-là », car j’ai changé sur plusieurs points et ne suis pas en accord toujours avec ce que mes amies et amis ont dit à l’époque, mais je sais, pour en avoir fait l’expérience, que la critique peut se vivre dans le respect et le plaisir. L’une des pierres d’angle de la contestation était par exemple l’idée que l’école devait se faire sous le contrôle des travailleurs (c’est à ma connaissance la Fédération unifiée des travailleurs de la métallurgie italienne qui, dans les années 70, a élaboré le plus finement ce que pourrait être la stratégie d’une transformation conjointe de l’école et de l’organisation du travail). Ainsi, certains pensent que l’« ouverture de l’école » doit permettre un contrôle sur les idées qu’on y transmet. Ce n’est pas tout à fait exclu, mais à condition que soit toujours claire la relativité des jugements. On ne luttera jamais contre les doctrines par des doctrines autres. L’enfant n’a pas besoin qu’on lui assure que l’esprit d’autorité est destructeur (il le sait très bien), il a besoin, comme chacun de nous, qu’on lui assure un peu moins de choses.
Qu’on ne me dise jamais que cette relativité des jugements conduit à l’angoisse, car ce qui rend dément, c’est de ne plus pouvoir parvenir à soi-même. C’est justement ce qu’on nous force à penser qui nous fait perdre la raison. C’est avec une morsure au cœur, Enfant, que j’évoque la folie ; je devine l’horreur de telles déchirures. Le pire, c’est que beaucoup de gens « dans la vie de tous les jours » sont des malades mentaux. Que pouvons-nous pour eux qui se sont perdus et jamais ne sauront qui ils étaient ? Elles et eux, apparences, images et réponses à ce qu’on a voulu faire d’eux.
Sois toi-même puisque quelqu’un a désiré te mettre au monde. Sois. C’est le seul impératif que je veuille sur toi jamais me permettre.
Et que ta solitude soit accueillante aux tendresses. Je sais moi-même ce que je dois à mes amies, à mes amis. Ce n’est pas les influences qu’il faut craindre ; celles qu’on se choisit ont la douceur des caresses. La vie ne doit-elle pas être vécue dans les grandes largeurs ? Elle est si généreuse, on peut bien l’être aussi.