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moulé, « orienté » et finalement isolé des autres. À l’école, on n’est jamais seul et on est toujours isolé. Tu imagines ce qu’est une salle d’examen ou de concours ? Chacun abandonné à ce qu’on veut soutirer de lui comme preuve de sa conformité. Je ne résiste pas à te citer encore une fois Foucault — c’est toujours un bonheur pour moi d’induire mes aimés en tentation de lecture — : « L’examen combine les techniques de la hiérarchie qui surveille et celles de la sanction qui normalise. Il est un regard normalisateur, une surveillance qui permet de qualifier, de classer et de punir. Il établit sur les individus une visibilité à travers laquelle on les différencie et on les sanctionne. C’est pourquoi, dans tous les dispositifs de discipline, l’examen est hautement ritualisé. En lui viennent se rejoindre la cérémonie du pouvoir et la forme de l’expérience, le déploiement de la force et l’établissement de la vérité. Au cœur des procédures de discipline, il manifeste l’assujettissement de ceux qui sont perçus comme des objets et l’objectivation de ceux qui sont assujettis[1]. » La production des preuves établit ici l’aveu que je prends en son sens originel de « remise de soi au seigneur féodal ».

Nous sommes propriété d’État. Chacun. Et nous n’en saisissons pas immédiatement l’horreur parce que nous avons été bel et bien formés à tel servage. Depuis Constantin et Théodose au IVe siècle, et pendant environ mille trois cents ans, l’Église a été l’âme de l’État. Mais dès que le déclin de l’Église s’est manifesté, il a fallu que l’État trouve de toute urgence le moyen de se faire admettre dans les esprits et ce de façon aussi totalitaire que l’Église y était parvenue. La tâche était rude. Comment plier les esprits à la convenance des nécessités étatiques ? Il s’agissait de rien moins que de créer en quelque sorte des superstitions.

Les « serviteurs » et « commis » de l’État rendirent alors l’école obligatoire et le « programme » (entends la programmation) uniforme pour tout citoyen. Désormais, chacun est entraîné à penser comme les maîtres et à obéir.

Le 5 mars 1880, Jules Ferry déclare au Sénat : « Il y a deux choses dans lesquelles l’État enseignant et surveillant ne peut pas être indifférent : c’est la morale et c’est la politique, car en morale comme en politique, l’État est chez lui, c’est son domaine, et par conséquent c’est sa responsabilité[2]

  1. Ibid.
  2. Cité par Paul Nizan dans Les Chiens de garde, Petite collection Maspéro, 1982.