Il y a quatre feuillets sous en-tête du ministère de l’Éducation nationale. Titre : questionnaire aux familles. L’introduction a le mérite d’être outrageusement claire : « Vous savez combien il est important de bien connaître votre enfant pour mieux diriger sa formation. Les renseignements qui vous sont demandés le sont uniquement pour le bien de votre enfant. Ils nous permettront d’unir nos efforts aux vôtres pour réussir son éducation par une action commune. Par avance, nous vous remercions de votre aide. »
Suit l’enquête d’état civil habituelle et on passe aux questions proprement dites du genre de : « À quoi joue-t-il ? » et autres tout aussi innocentes. Puis ceci : « Votre enfant est-il tranquille ou vif, docile ou difficile, renfermé ou expansif, lent ou rapide, sensible aux réprimandes ou non[1] ? »
Mais c’est la question suivante que j’aurais pu mettre en exergue de ce livre : « Quelle est à votre avis la meilleure façon de le “prendre” ? »
Ça se termine par « […] Répondez sans tarder, l’école a besoin de la coopération (moi j’aurais mis collaboration) des parents. Votre réponse restera confidentielle[2]. Elle servira seulement à mieux connaître votre enfant, dont l’éducation sera mieux assurée. »
Que les psychologues s’intéressent à l’enfant ne date pas d’aujourd’hui. Stanley Hall, Binet puis Piaget s’absorbèrent dans l’analyse de l’intelligence, mais c’est beaucoup plus récemment qu’on a commencé à regarder comment l’enfant, petit à petit, prenait conscience de son identité et par quelle autorité on pouvait l’amener à « devenir lui-même ».
L’investigation médico-psychologique est une arme terrifiante. Quand on dit d’un enfant qu’il est « insupportable », ça passe, mais ça ne passera plus quand du même enfant quelqu’un aura dit un jour qu’il est psychotique. Et l’horreur dans ces jugements, c’est que personne ne peut apporter la preuve de son innocence. N’importe qui peut prétendre que je t’aime trop ou pas assez, qu’un enfant est pervers ou non. Face à ce pouvoir absolu nous ne pouvons opposer qu’un scepticisme absolu. Du moins jusqu’à un certain point qui, franchi, ne peut que nous provoquer à l’action armée. Je pense ici à ce que raconte Illich qui n’a jamais eu la réputation d’être un plaisantin : « Un psychanalyste, le docteur Hutschnecker, qui avait comme patient M. Nixon avant sa désignation