savoir marcher si on ne l’a appris à l’école. « C’est parce que tu es allée à l’école que tu écris des livres » relève de cette même niaiserie. Anecdote qui ne manque pas de sel : après dix mois de lutte, les ouvriers de Lip[1] se sont vu offrir… de retourner à l’école. Oui, on leur a proposé de suivre des cours sur la « vie économique de l’entreprise » et l’« histoire de la montre à travers les âges » ; je ne sais ce qui remporte le pompon dans le ridicule entre « techniques d’expression écrite et orale » (eux qui avaient tant et tant parlé ou écrit !) ou « perfectionnement à l’encadrement ». Mais on ne pouvait admettre qu’ils se fussent formés mutuellement hors des institutions scolaires.
Toute une armée de psys, magnifiquement soutenue par les médias, impose aux enfants le mode de fonctionnement des adultes. Et ce n’est pas sans mal. Car l’enfant a envie de vivre. Aucun être vivant ne se trouve naturellement porté vers l’abnégation, la modération, le formalisme.
Quand la vie scintille dans la pensée de l’enfant, constamment elle se heurte à la volonté de bienséance des adultes. Les hommes s’imaginent qu’ils ne peuvent vivre que les uns sur les autres et les uns par les autres et, en même temps, ces rapports sociaux les terrorisent tellement qu’ils s’inventent mille rituels d’évitement pour se permettre de glisser d’isolement en isolement sans risquer de se trouver désarmés face à quelqu’un. Prisonniers de ces rapports forcenés, les enfants ont du mal à se plier aux règles : à coup de punitions (y compris le simple chagrin des « parents sympas ») ils apprennent les bonnes manières. S’ils jouent avec des adultes, ils savent très bien que ceux-ci ne seront jamais des copains comme les autres. Il faut faire attention à ce qu’on fait quand on est avec les grands. On ne doit pas réclamer un câlin puis, satisfait au bout de vingt secondes, se précipiter pour jouer avec les autres à chat perché ! Il y a des formes de l’amour à respecter. Ce n’est malheureusement pas pour rire qu’on aime quand on est grand. Chaque chose à sa place. S’amuser n’est pas sérieux. Et pourtant il faut bien que les enfants « récupèrent » sous peine de folie.
Alors, quand on lâche les enfants en récréation, on les entend hurler. « Ils jouent. » Ils jouent ? Il n’est pas requis de qualité hors du commun
- ↑ * Note de l’éditeur Tahin party : Cette manufacture horlogère de Besançon, que ses actionnaires suisses voulaient fermer, fut en 1973 le théâtre d’une grève puis d’une occupation d’usine qui eut un énorme retentissement. Les salarié-es s’approprièrent l’outil de travail sur le principe : « on travaille, on vend, on se paie », au grand dam de presque tous les syndicats. Toute une génération a défilé chez « les Lip ». L’usine a fonctionné ainsi en autogestion jusqu’en 1977.