Alors, bien sûr, le policier qui sommeille en tout cochon clame : « Où sont vos limites ? » et Sigala ne joue pas au plus malin, il répond humblement et nettement : « Ne vous faites pas d’idées, il y en a. Mais nous ne définissons pas la perversité à partir de la même loi ou du même langage.
« Nos limites sont celles de chacun et celles du groupe.
« Lorsque nous sentons et savons la destruction possible d’un d’entre nous ou du groupe ou des bêtes ou des légumes, nous en discutons. »
Sigala admet qu’il existe de par le monde des « sales folies face à toutes les désespérances », mais des femmes adultes se font violer et on n’en tire pas l’absurde conclusion qu’il faille interdire l’amour entre hommes et femmes. L’amour dégoûtant, c’est l’amour institutionnalisé, contrôlé par la D.D.A.S.S., l’amour sans désir, l’amour sans amour. « Nous ne sommes pas de nouveaux H.P. “new look” adaptés à tel ou tel handicap », écrit-il encore au sujet de la patience. Et il est indubitable en effet qu’à partir du moment où quelqu’un se montre « patient » avec quelqu’un, c’est qu’il n’aime plus vraiment.
Moins de trois ans après la sortie de ce livre, éclate « l’affaire du Coral », une histoire de fous où s’affrontent deux discours : « Nous aimons les enfants, donc nous les respectons » et : « Vous aimez les enfants, donc vous ne les respectez pas. » Les sépulcres blanchis se sont ouverts et on fut renversé par l’odeur fétide qui s’en est dégagée. Christian Colombani qui « couvrit l’affaire » dans Le Monde dépassa les bornes et je ne sais ce qu’on doit admirer le plus de la fourberie ou de l’habileté qu’il déploya à cacher sa haine dans les papiers gras d’une quintessence de journalisme « « objectif » ». L’article du 19 novembre 1982, je le tiens à la disposition des étudiants de toutes les écoles de journalisme comme le modèle parfait d’un article de persiflage ; entre autres, il y a ce passage sur l’antipsychiatrie et les lieux de vie : « Suffit-il en effet de s’opposer pour se poser, de renverser quelques données de la psychiatrie pour faire naître une nouvelle thérapeutique, de “vivre avec” et de “donner de l’amour” pour venir à bout d’une psychose, de nier enfin toute compétence professionnelle pour fonder le bienfait de la vie au grand air ? “Désormais dans le Midi, il arrive souvent qu’on fasse du handicapé comme on faisait naguère du mouton”, estime M. Jean-Louis Zanda, secrétaire général de la Revue du changement psychiatrique et social — Transitions. »
Il est bien bon, M. Zanda, de prêter sa bouche au discours du reptile.