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pas très vite autre chose, les autres font “hou ! hou !” et rigolent en disant “il ou elle a regardé la télé !” Pourtant on le fait tous, regarder la télé, mais maintenant on a honte. » Les moins brutaux des maîtres ne sont pas les moins tyranniques. On se demande d’ailleurs pourquoi tant d’enseignants sont des vaches. Ils n’ont absolument pas besoin d’être si méchants pour se faire obéir. Dans l’expérience sur l’obéissance de Milgram, il apparaît bien clairement que les sujets ne se plient à l’ordre immonde de torturer que parce que celui qui commande possède l’autorité, et il ne possède cette autorité que parce qu’il est le professeur. À maintes reprises, les gens renâclent mais obéissent en disant comme un certain M. Gino (p.113) : « Vous êtes plus qualifié que moi. C’est vous le professeur. »

L’enseignant est tout-puissant, il a le savoir, le pouvoir et la complicité de tous.

Je ne vais pas t’ennuyer avec des références historiques, mais cela m’a beaucoup intéressée d’apprendre comment les écoles normales, au début du siècle, formaient instituteurs et institutrices comme des sortes de « prêtres laïcs » ; il s’agissait effectivement de constituer un pendant au clergé et, pour cela, viser à une sorte de sainteté. Le respect intégral des « vertus laïques » faisait des maîtres des personnes revêtues d’une dignité spéciale. (Ils reviennent de loin : quand on pense que les Romains confiaient le « vil » métier d’instituteur à des esclaves !) Il reste de cette consécration du XIXe siècle bien plus que ne croient ordinairement les intellectuels.

Face aux enseignants ou aux médecins, même sadiques, les parents se retrouvent plus que les non-parents dans une gangue d’impuissance, tant ils ont peur des représailles, effectivement possibles, sur l’enfant. Toubibs et professeurs sont maîtres d’un avenir sur lequel ils ont un pouvoir réel. Reste aux mères à faire du charme (les pères sont le plus souvent absents, il ne leur apparaît pas aussi « naturel » qu’aux femmes de se trouver en situation d’infériorité). Les opprimés en l’occurrence sont loin d’être révolutionnaires. L’hostilité plus ou moins larvée entre parents et enseignants revêt bien rarement celle d’une alliance entre parents et enfants humiliés contre les maîtres et seigneurs, mais d’une jalousie entre deux gangs de racketteurs sur le bas monde enfantin.

Deux cas de figure : ou bien on est de situation modeste et, c’est simple, face aux profs, on la boucle. Quitte à râler qu’à l’école on n’apprend plus aux enfants à vivre, que, de notre temps, on devait filer doux et qu’on savait dresser la jeunesse. Ou bien on a fait « les écoles » et, selon son grade, ou peut parler d’égal à égal ou en supérieur aux enseignants.