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dans leur majorité, trouvent épouvantable ce qu’on leur fait faire et Milgram de conclure : « En tant que mécanisme réducteur de la tension, la désapprobation est une source de réconfort psychologique pour l’individu aux prises avec un conflit moral. Le sujet affirme publiquement son hostilité à la pénalisation de la victime, ce qui lui permet de projeter une image de lui-même éminemment satisfaisante. En même temps, il conserve intacte sa relation avec l’autorité puisqu’il continue à lui obéir[1]. »


Pardonne-moi de m’étendre en ce long chapitre mais, écrivant sur notre insoumission, je trouve les investigations de Milgram sur la soumission à l’autorité pleines d’enseignements. Certains se sont scandalisés de l’aspect « immoral » de cette étude où de pauvres innocents ont été bernés, « croyant participer à une expérience sur la mémoire ». Je dirai cyniquement que la sociologie a intérêt, tant qu’à faire des expériences, à les réaliser dans les conditions les plus proches possible de la vie que nous menons en société. Or, la principale condition de la société telle que nous la connaissons est de reposer sur le mensonge. Chacun croit faire autre chose que ce qu’il fait. Je prends un exemple, au hasard ; celui qui suit ses classes est évidemment trompé de la même manière que le sujet de l’expérience de Milgram : l’objet avoué serait de permettre à l’élève ou à la recrue certains apprentissages, mais le but réel est de lui imposer le principe même de l’obéissance. Les « valeurs » inculquées à l’école ou à l’armée telles que loyauté, conscience du devoir, discipline sont censées être des impératifs moraux personnels mais, écrit Milgram, « ce ne sont que les conditions techniques préalables nécessaires au maintien de la cohérence du système ».

David Riesman, et je m’en tiendrai là pour la sociologie américaine, a minutieusement analysé comment une éducation répressive poussait l’enfant à se soumettre et, par là même, à se préparer à jouer son rôle dans les fonctions répressives. Ne jamais oublier que les petits chefs aiment obéir. Pions, ils aiment leur rôle de pion. Eux qui ne contrôlent rien ont la manie invétérée du contrôle.

  1. Une analyse ultérieure montra que les sujets obéissants accusaient un degré maximal de tension et de nervosité légèrement supérieur à celui des sujets rebelles. En d’autres termes, ils « râlent » plus contre ce qu’on leur fait faire que ceux qui refusent effectivement de marcher.