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nécessité d’un idéal. Mais le sien est infirmé par la science ; c’est un préjugé que les prêtres seuls ont intérêt à conserver. L’Au-Delà est une de ces hypothèses gratuites, un de ces audacieux a priori dont les anciens philosophes se servaient pour étayer leurs sociogonies ; ceux qui entretiennent encore le peuple dans cette naïve illusion sont les premiers qui ne l’auront jamais.

Le plaisir esthétique, au contraire, n’est pas seulement une espérance ; il est réel, immédiat. Il s’agit de le faire goûter aux générations nouvelles. Même provisoirement, dans une faible mesure, il est vrai, des fils de paysans et d’ouvriers peuvent le concevoir. L’instituteur n’a qu’à leur faire sentir la poésie de la nature, l’harmonie des couleurs, la mélodie des sons, le charme et le parfum des fleurs ; leur faire comprendre le prix et la beauté d’un travail achevé, leur inspirer l’horreur des imperfections, au lieu d’être des manœuvres, ils voudront devenir des artistes.

L’Art ne consiste pas seulement à construire une phrase irréductible, à colorier une toile, à ciseler un bloc de marbre : il est dans tous les métiers, dans toutes les industries. Chaque sorte de travail suppose un idéal, c’est-à-dire un modèle de ce que les hommes peuvent faire de mieux. Le serrurier, le maçon, le cultivateur ont besoin d’une éducation esthétique, de même que le peintre, le poète, le musicien. Chacun dans sa sphère peut rêver la perfection absolue, repaître son imagination de cette idée, en alimenter son activité cérébrale, en jouir : celui qui aura trouvé les plans les plus merveilleux sera en même temps le meilleur ouvrier.