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ayant en soi la mesure du plus grand bien s’isolerait de tous les autres. Il n’y aurait entre nous aucun courant de sympathie : le plaisir des sens localisé dans les organes ne se communique point. De plus, les appétits ont une limite ; ils traînent après eux la satiété et le dégoût. Une fois le ventre satisfait, la bête n’aspire plus à rien.

Il faut quelque chose de supérieur pour arracher les hommes à l’esclavage des sens et pour les maintenir en communion constante, un sentiment plus pur, moins égoïste, et dont l’intensité s’accroisse en raison de la culture intellectuelle : l’idéal de la perfection absolue. L’amour du Beau est inné au fond de nous ; chacun le possède à un degré quelconque. Il n’est personne qui n’ait éprouvé une émotion plus ou moins forte en face de tels spectacles grandioses de la Nature ou devant les chefs-d’œuvre du génie, et qui n’ait essayé de la communiquer à quelqu’un de son milieu ; car c’est là le caractère essentiel de ce sentiment d’être commun ou conceptible à tous, c’est-à-dire éminemment social.

Un système soucieux de la fin des hommes doit donc s’efforcer de développer en eux l’idéal esthétique, qui est le mode le plus élevé du bonheur. En les conviant à des plaisirs communs qui ne connaissent ni la limite ni le dégoût, il supprime l’antagonisme des intérêts ; il leur apprend même à s’aimer les uns les autres dans l’œuvre de la Nature ; enfin il les soustrait à la matérialité des choses, les attache à la vie en leur inspirant le désir toujours nouveau de connaître le Mieux : il leur ouvre une porte sur l’Infini.

L’Enseignement religieux a senti avec raison la