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par besoin de se faire remarquer, plus que par tempérament, il n’a aucune idée générale de coordination et de synthèse : il subordonne tout à ses volontés, à ses appétits. Dans sa conception égocentrique de la vie il sacrifierait volontiers à ses jouissances tout le reste de l’Humanité.

Incorrigible parnassien au début de sa carrière littéraire, il passa vite au Décadisme où l’on faisait plus de tapage puis au Symbolisme où il se trouvait au premier plan. Aujourd’hui, raillant et ridiculisant ses maîtres de la veille, il se proclame lui-même le grand poète, le réformateur de l’esthétique. Dans une revue qu’il est parvenu à fonder et qu’il rédige tout seul sous différents pseudonymes, il promulgue les lois de la Poétique nouvelle. Tantôt c’est l’abolition de la rime, la suppression de la majuscule au commencement du vers ; tantôt il autorise l’Hiatus, la rime par assonance ou vante l’harmonie du vers de treize syllabes, enfin tout ce qui peut faire hurler les bourgeois qui lisent les périodiques s’échelonnant de la Revue des deux Mondes à l’Écho de Paris.

À force de pontifier, il a fini par se faire prendre au sérieux par tous les aspirants à la littérature qui lui donnent du « cher Maître », bien qu’il n’ait pas encore atteint sa vingt-deuxième année. Mais il n’est point dupe de ces hommages ; il les attribue moins à son mérite qu’à la naïveté de ses admirateurs.

Enfin pour donner à sa personne la curiosité, le piquant, l’intérêt que le scandale ne peut manquer de lui ajouter dans une société pourrie comme la nôtre, il nie carrément l’amour. Exagérant ou dénaturant en cela les doctrines de l’École décadente, il ne trouve rien d’exquis comme les amitiés célèbres de Patrocle et