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qui lui tomberait sur les épaules. Oh ! ce spleen n’est point celui des empereurs blasés de pouvoir, de femmes et d’orgies : il est plus noir, plus intense, plus irrémédiable, puisqu’il porte à maudire l’existence, appeler la Mort et souhaiter le Néant.

Il ne faudrait point inférer de ce qui précède que l’homme moderne est triste, pessimiste dans l’acception du mot. Au contraire il est gai, ou s’il ne l’est pas réellement, il sait abdiquer ses souveraines tristesses en face de ce monde par trop superficiel. Vaincu par la fatalité, il sait que sa blessure est mortelle ; mais, plus fort dans sa défaite, que le vainqueur qui l’a brisé, il refoule son mal au fond de l’âme et le cache sous des apparences de gaieté, défi sublime qu’il jette à la destinée pour montrer qu’elle peut l’anéantir mais qu’elle est impuissante à faire déchoir son indomptable et téméraire orgueil !

C’est dans l’isolement et même dans les foules, lorsque le penseur faisant abstraction des êtres matériels qui se meuvent autour de lui, s’abîme dans la solitude de son esprit en une contemplation synthétique du monde, que ce spleen immense, si terrible, l’envahit et le force à manifester des aspirations vers le Néant, humiliantes pour lui, déshonorantes pour la divinité. Oh ! alors, il souffre intensément de cette maladie atroce dont les effets sont d’autant plus terribles que les causes en sont complètement inconnues, ou peut-être même n’existent pas.

Devant cette preuve de son impuissance, voyant son intelligence fatalement broyée sous l’engrenage d’une